Ceci est un article publié au sein du journal Particule, #3.

Flou artistique au Bon Accueil

Le long du canal Saint-Martin, le Bon Accueil (74, Canal Saint-Martin), une ancienne brasserie restaurant, héberge depuis 1997 l'association du Site Expérimental de Pratiques Artistiques (SEPA). Projections mensuelles de vidéos expérimentales, organisation ponctuelle d'expositions, ouverture du bar du vendredi au dimanche et accueil de plasticiens en mal de ressources ou d'informations sur leur statut bâtard, la vitrine est attrayante. Pourtant le Bon Accueil semble être un lieu encore mal connu et pas toujours accessible. Regard sur un lieu qui à l'image de l'île Saint-Martin, n'apparaît profitable qu'à l'œil averti mais qui pourrait pourtant représenter un potentiel supplémentaire pour la scène artistique de Rennes et d'ailleurs.

En 1997, l'un des objectifs principaux des fondateurs du SEPA était de créer un lieu d'échanges et de visibilité pour les praticiens de l'art (plasticiens ou auteurs) rencontrant des difficultés d'insertion dans la vie professionnelle. La location à la ville des murs du Bon Accueil leur a permis d'expérimenter une artothèque1) et de mettre en place un lieu de création et d'exposition. Cet espace d'échange d'expériences et de compétences entre les artistes, de Rennes ou d'ailleurs, devait faciliter la concrétisation de projets artistiques ; en particulier pour les praticiens débutants ou en difficulté.

Malgré la réalisation d'expositions collectives et l'obtention d'un atelier pour certains artistes, l'artothèque n'aura vécu qu'un an et la galerie n'est pas devenue un lieu d'exposition permanent. Pourtant la structure a continué de s'organiser. Les financements obtenus, entre autre, par la Ville de Rennes et le Conseil général ont même permis l'embauche de deux emplois jeunes aux postes de médiateurs culturels et d'une secrétaire comptable. Cependant, après l'effusion première, il semble que le projet ait du mal à s'affiner et à s'ouvrir.

Entre un lieu ponctuel d'exposition et un fournisseur de services mon cœur balance

Même si depuis le 16 mars 2001 et jusqu'en juin, le Bon Accueil organise l'exposition « L'île manifeste » qui regroupe des artistes travaillant sur les potentiels d'utopie d'île Saint-Martin, il ne se revendique pas comme un lieu d'exposition. Il se conçoit davantage comme un pôle de ressources pour des artistes qui aimeraient monter un projet artistique mais n'ont pas les moyens pour le réaliser.

IllustrationMalheureusement cette forme de service n'est pas ouverte à tout artiste. La capacité d'ouverture du Bon Accueil dépend aussi des membres qui forment l'association du SEPA et de leurs sensibilités ou écoles artistiques. Or ici il vaut mieux être labellisé « art contemporain » pour être vraiment bien accueilli. « C'est dommage - raconte Sébastien Thomazo, dessinateur – c'est un cercle trop fermé. Pourtant ils bénéficient d'un bon espace d'exposition. C'est ça aussi promouvoir un artiste. Il a plus de chance de vendre s'il est exposé ».

Mais pour le Bon Accueil la question de l'art ne se réduit pas seulement à la diffusion. « La plupart des étudiants qui sortent des Beaux-arts viennent nous voir pour exposer mais ils ne savent même pas ce qu'est un numéro SIRET2). Tant que tu es à l'école ça roule, tu as les moyens et du matériel, ensuite … tu vivotes avec le RMI. Mais parfois ce n'est pas suffisant quand tu vends une toile 5 000 Francs alors qu'elle t'en a coûté 4 000 », explique Virginie, médiatrice culturelle au Bon Accueil.

Il y a ensuite la question de la couverture sociale. Deux organismes proposent des régimes généraux (identiques au régime salarié). La Maison des Artistes, pour les plasticiens (sculpteurs, dessinateurs etc.) et l'AGESSA, Association pour la Gestion de la Sécurité Sociale des Auteurs, pour les auteurs (cinéastes, écrivains, photographes etc). Mais une fois que l'on a eu la chance de prendre connaissance de leur existence, c'est le problème de satisfaire aux critères d'affiliation qui pointe le bout de son nez. Dès lors, c'est un rôle d'informateur sur les premières démarches à effectuer pour faire de son art une activité lucrative qu'endosse l'équipe du Bon Accueil.

Un pôle d'information pour l'insertion

Son deuxième terrain d'action est celui de la professionnalisation, ou plus simplement, du conseil aux artistes débutants ou RMIstes. Son Directeur, Juvénal Quillet, aiguillent ainsi des artistes en difficulté envoyés par la Commission Locale d'Insertion. « Notre rôle est de conseiller les artistes sur les moyens existants pour mener à bien un projet [budgétisation, recherche de lieux d'expositions et de financements, ndlr], ils peuvent aussi l'apprendre sur le tas en adhérant à l'association », raconte encore Virginie.

Deuxième volet, celui de la réflexion autour de leur statut (ou non-statut). Une journée forum a d'ailleurs été organisée en décembre dernier à la Maison du champ de Mars par le Bon Accueil sur le thème de « l'activité de l'artiste plasticien : source de droits ». Les 100 personnes venues de la région Bretagne ont ainsi pu aborder les questions des droits et devoirs de l'artiste plasticien.

« Artiste » : statut bâtard

Car faire d'une pratique artistique son activité principale et sa source de revenu implique des contraintes d'ordre matériel, juridique et statutaire souvent mal connues et mal appréciées par beaucoup d'artistes. En général « ça dépend de la démerde de chacun » , explique Sébastien Thomazo.

De commandes en ventes d'œuvres, un artiste peut aussi devenir salarié (dessinateur professionnel) ou bien vivre et exercer son activité avec le RMI. On assiste ainsi à un éparpillement des statuts et des conditions de travail qui n'aident pas la population artistique (ou des auteurs en général) à faire porter une voix commune. Si l'on ajoute à cela les débats d'école et les opinions sans fin sur le statut de l'artiste dans la société, on comprend mieux pourquoi on n'est pas près de les voir défiler dans la rue.

Que la fête commence...

Difficile donc d'avoir une vision très claire de ce qu'est le Bon Accueil et son acolyte le SEPA. Une chose est sûre, il ne s'inscrit pas dans une logique d'ouverture sur le public. D'abord parce que le public ne serait pas acheteur. Ensuite, parce que le travail de recherche artistique n'impliquerait pas nécessairement d'être présenté à ce dernier.

On se détacherait dès lors d'une volonté d'insertion de l'artiste par la diffusion d'œuvres pour tomber dans l'art pour l'art, l'art comme une fin en soi. Le Bon Accueil ne le conçoit pas comme ça : « Nous sommes en contact avec des personnes qui nous passent parfois des commandes pour des expositions. Récemment la Compagnie Générale des Eaux nous a contactés pour leur recommander des artistes qui accepteraient de louer leurs œuvres pour leurs nouveaux locaux. Ça peut mener à une vente…  »

N'empêche que le Bon Accueil gagnerait à ouvrir davantage ses portes. « Le débat autour du statut de l'artiste ne devrait pas se faire qu'entre les artistes. Ils gagnerait en ouverture si des personnes d'horizons plus larges se joignaient à l'association ou venaient », pense Virginie.

Mais cette ouverture signifierait peut-être aussi une inflexion du label « art contemporain » que revendique le Bon Accueil, et l'apparition d'autres conceptions du rôle de l'artiste dans la société ou la cité que celle défendue par l'association. Or entre les partisans de l'esthète total à ceux de l'artiste artisan (objets d'art), en passant par les fonctionnalistes (celui qui utilise son art comme habillage de façades ou d'espaces publics préconçus) les débats sont loin d'être taris.

Pourtant, c'est bien dans la diversité des intervenants et dans l'existence d'un lieu d'exposition permanent que les objectifs du Bon Accueil et du SEPA, à savoir « la rencontre des artistes pour échanger expériences et compétences » ainsi que « faire émerger une scène artistique3) », pourraient prendre tout leur sens et leur effectivité.

Virginie Jourdan

1) Lieu de prêt d'œuvres d'art ou d'objets artistiques.
2) Numéro d'immatriculation fiscale au répertoire SIRENE pour les factures ou déclarations de revenus.
3) Objectifs énoncés par Emmanuel Ropers, président du SEPA, Juvénal Quillet, directeur du Bon Accueil et Simon Artignan, exposant de « L'île manifeste » et co-fondateur du SEPA à l'occasion de la table ronde organisée à l'OSCR pour le numéro de mars 2001 de la revue Synergies, mensuelle de la vie associative rennaise.
particule/archives/3/flou_artistique_au_bon_accueil.txt · Dernière modification: 2019/01/07 11:13 (édition externe)
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