Non-CADA, non évènement ?
Ceci est un article publié au sein du journal Particule, #16.
On le pressentait, c'est désormais officiel. Figurant parmi les choix premiers de la préfecture, avec Montauban1), le projet d'instauration d'un centre d'accueil d'urgence pour demandeurs d'asile à Guichen est désormais une réalité. La convention signée entre l'Etat, le CHR 2) et l'AFTAM3) entérine le projet de réhabilitation d'une partie des bâtiments situés sur le domaine de la Massaye. Passant ainsi outre l'hostilité du maire de la commune et d'une partie de la population.
« C'est un non-événement total » pour Pierre Leber, président de l'association « Collectif habitants citoyens de Pont-Réan »4). « Il faut que ce soit un non-évènement » ajoute Marcel Déan, directeur du centre Guy Houist à Rennes et président de l'AFTAM. Bien que l'affaire s'orchestre depuis près d'un an, les deux présidents s'accordent donc à dire qu'il s'agit d'un « non-évènement ». Et ce n'est pas la préfecture qui brisera cette harmonie en s'exprimant différemment. Elle ne s'exprimera pas du tout d'ailleurs, ce que nous avions déjà éprouvé lors d'un précédent dossier sur ce sujet5). Ainsi, dès lors que nous cherchons à en savoir plus sur l'ouverture effective d'un lieu d'accueil à Guichen-Pont-Réan auprès de la préfecture, celle-ci nous renvoie vers le président de l'AFTAM.
En effet, l'association d'accueil et de formation dite AFTAM est en relation étroite avec les autorités préfectorales sur ce dossier précis. Au-delà même, sa mission est d'accueillir dans des conditions décentes des demandeurs d'asile sur le territoire de Haute-Bretagne. Et s'il est difficile d'avoir des informations explicites à ce propos, ce mutisme des autorités n'en est pas moins révélateur d'un malaise prégnant.
En octobre 2003, le « Collectif jeunes » (appartenant au « Collectif Habitants Citoyens ») jouait la carte de la solidarité en organisant un concert de soutien6). Mais à l'heure de trouver les fonds, ils essuyèrent nombre de refus de la part des entrepreneurs locaux. Il s'agissait pour ces derniers de ne pas financer ouvertement une démarche en faveur des demandeurs d'asile. Donner de l'argent signifie prendre position. La plupart ont préféré s'abstenir. En outre, craignant l'intrusion de sympathisants du Front National lors de la soirée, certains parents des organisateurs ont fait office de service de sécurité… qui n'eut pas à intervenir.
Un maire opposé non pas sur la forme mais sur le fond
Joël Sieller, maire de Guichen-Pont-Réan, affirme qu'il n'a « pas d'a priori contre les demandeurs d'asile. Simplement [il a] peur d'une certaine concentration ». Il rappelle par ailleurs que cette question est un problème d'Etat, qu'un maire, à lui seul, ne peut résoudre. Un argument très (trop) souvent partagé. L'AFTAM n'a alors d'autre solution que de multiplier les recherches de nouveaux lieux d'accueil repoussant d'autant le choix définitif. Il dit également : « je n'aime pas réévoquer le sujet ». Entendez : moins on lui en parle, mieux il se porte. Il reste cependant dans la droite ligne de ce qu'il a toujours défendu. Rappelons qu'à l'heure où la préfecture menaçait par l'oukase de réquisitionner les bâtiments, Joël Sieller répondait par l'outrance en organisant une manifestation bénéficiant du soutien numérique du Front National. Un rassemblement qui a confondu à l'envie Sangatte et Centre d'Accueil, clandestins et personnes en attente du statut de réfugié. Notons qu'à l'époque, en décembre 2002, le gouvernement tentait de résoudre les problèmes suscités par le transit de clandestins de Sangatte vers l'Angleterre. Certains ne manqueront alors pas de surfer sur cette actualité brûlante. Ce sont ainsi près de 700 personnes qui défilèrent à Guichen. Ce qui est loin d'être anodin au regard de l'envergure de la commune, bien que toute manifestation cache inévitablement une majorité silencieuse. Cependant, les actes ou paroles du maire ont à l'évidence dépassé le cadre local ; le front du refus ayant été récupéré par les extrémistes de tous bords. Au-delà, et devant cette réquisition potentielle, Joël Sieller a également eu le sentiment d'être tenu à l'écart des négociations. Or insiste Marcel Déan : « la commune a été associée dès le départ mais nous n'avons pas besoin de passer par elle sur le plan réglementaire. Le CHR dans le cadre de sa mission de service public se doit de venir en aide aux personnes défavorisées ».
Des chiffres à géométrie variable
Des « personnes défavorisées » dont les effectifs prévisionnels ont varié en fonction des sources. Ainsi, quand les places disponibles évoluent à la hausse de 60 à 70 puis à une centaine selon les interlocuteurs, on peut comprendre que la population y ait vu là un projet tentaculaire. Certes, les locaux convoités se trouvent sur un terrain d'environ 15 hectares, néanmoins l'AFTAM n'a jamais eu l'intention, ni même les moyens sans doute, d'investir la totalité du domaine. Ces chiffres aléatoires conjugués à une méfiance latente à l'égard d'autrui auront toutefois suffit à nourrir la peur et, de fait, le rejet. Notons que l'opposition du conseil municipal a longtemps défendu cette position de refus du projet, à l'unisson du maire. Mais vers le mois de juillet, s'alignant sur les directives de la gauche régionale, selon ce dernier, l'opposition locale s'est alors désolidarisée de la majorité.
Pour l'anecdote, un projet furtif de maison de retraite émergea au fil de l'histoire. Une rencontre aura lieu avec le maire de Guichen. Il en sera de même avec l'Association Centrale des Vétérinaires, propriétaire des lieux, qui a également opposé son veto au projet. Ce qui ne manque pas de surprendre quand on a pour objectif avoué de pratiquer la solidarité ; confraternelle certes7). Malgré ce qui apparaît inévitablement comme une tentative de diversion, la préfecture ne se découragea pas et entreprit de consulter d'autres élus. Une démarche loin d'être vaine, 200 places ayant été mises à disposition aux quatre coins du département. Le maire voit en cela une conséquence positive de son refus.
Réquisition : non ; convention : oui
L'objectif restant néanmoins de parvenir à une entente et à la signature d'une convention. Mais alors que d'aucuns s'attendaient à voir émerger un CADA (Centre d'Accueil de Demandeurs d'Asile), la convention a pour objectif la mise en place d'un SCOHDA (Service de Coordination d'Orientation et d'Hébergement de Demandeurs d'Asile). Le pilier de la structure s'attache bien à la question de l'hébergement en urgence et moins à celui du suivi social pour lequel le CADA est plus adapté. Alban Villa, travailleur social de la Massaye, résume la situation de manière pragmatique : « quand quelqu'un arrive un soir à 17 heures on se doit de lui trouver une place ! ». Voilà qui a le mérite de la clarté. On ne peut pas en écrire autant de l'expression « personnes défavorisées » souvent utilisée pour décrire le type de population accueillie dans cette structure d'accueil, là où on est en droit d'attendre les termes « demandeurs d'asile ». Si comme le note Marcel Déan « les demandeurs d'asile font partie de la catégorie des personnes défavorisées », cette dernière formulation s'avère moins précise que la première. Il y a là comme une hésitation dont on évalue mal les causes, mais, hélas, assez bien les effets pervers tel l'amalgame entre demandeurs d'asile (en attente de l'obtention du statut légal de réfugié) et clandestins (en situation irrégulière).
Une amorce de dialogue
Afin de pallier au défaut de communication dont elle a fait preuve en amont du projet, la préfecture n'a pas manqué de participer aux réunions de pays du printemps dernier, en complément de celle organisée par le « Collectif Habitant Citoyens » en janvier dernier. Mettant ainsi un terme provisoire à sa prédilection pour la discrétion qui semblait l'animer jusque là. Des expériences plutôt positives au regard du président de l'AFTAM qui note qu'à la fin des réunions de printemps, les « pour » et les « contre » s'équilibraient.
Il apprécie également que tout le monde ait pu prendre la parole en toute liberté. Et Antoine Durand du « Collectif jeunes » d'ajouter : « les rencontres, les réunions ont apaisé les esprits et la réaction de peur née sur le moment ». Reste que le maire de Guichen est partagé. Selon lui, « les habitants ne veulent pas d'une concentration de demandeurs d'asile et restent sur cette position ». Il concède néanmoins que ses rencontres ont incité d'autres élus à chercher une solution d'accueil dans leur commune.
La préfecture arrive à ses fins
Malgré les dissonances ou dissensions, un consensus a pu se dégager. Une convention tripartite (AFTAM, CHR, Préfecture), qui court depuis le premier août 2003, a ainsi été signée. Le CHR offre par conséquent l'opportunité à l'AFTAM d'utiliser ses locaux pour une durée approximative d'un an et demi, deux ans. Le directeur du seul CADA de Rennes (foyer Guy Houist) se veut opportuniste, ou réaliste, c'est selon. « Je suis un professionnel, j'ai donc besoin de places. À un moment donné, nous, État, avions besoin de places8). Il arrive un moment où nous arrivons à saturation, malgré l'effort de communes ou de personnes privées. D'un autre côté il y a des locaux qui ne sont pas utilisés ». Et d'avertir que « nous ne sommes plus au temps où l'accueil de demandeurs d'asile était un problème de grande ville ». Compréhensif à l'égard des réticences exprimées sans les excuser, Marcel Déan avoue qu'il aurait préféré « que 50 communes accueillent une famille plutôt que 50 familles aillent à Guichen ». Le président de l'AFTAM aurait ainsi souhaité poursuivre l'intégration de familles une à une dans diverses communes, à l'instar de ce qui fut réalisé à… Guichen9). Un vœu qui restera lettre morte. Marcel Déan rappelle que « malgré les 200 places qui ont pu être dégagées, dans le contexte actuel, ce n'est pas suffisant. C'est pourquoi le site de la Massaye a été de nouveau sollicité ». Les arguments des professionnels pourraient convaincre le maire, revenu semble-t-il à de meilleures intentions. « Maintenant que cela est fait… ». Sa position de fond a-t-elle cependant évolué ? La question reste posée. Il n'a toutefois manifesté aucune opposition au concert de soutien et a même permis d'augmenter la capacité d'accueil de la salle, en plus du prêt gratuit de celle-ci. Une bonne volonté que le maire pourrait avoir l'occasion d'afficher à nouveau ; les membres du « Collectif jeunes » projetant de faire un autre concert de plus vaste ampleur dans les semaines à venir.
Pour surprenant qu'il soit, ce revirement n'étonne néanmoins pas les différents acteurs du dossier. Ils prennent note à l'unanimité de l'évolution de la mentalité du maire. La vigilance reste cependant de mise. « Nous souhaitons que cela continue sans hypocrisie » précise Antoine Durand. Toujours soucieux d'éviter toute polémique et de rester fidèle à sa mission, Marcel Déan avoue quant à lui « que [son] problème n'est pas de [s']attarder sur les réactions du maire, mais d'installer des gens ». En outre, la commune ne doit-elle pas mesurer ce que peut représenter pour la vie locale, et particulièrement pour les écoles, l'arrivée d'enfants à scolariser ? La municipalité n'a-t-elle pas tout intérêt à voir s'installer de nouveaux arrivants dans une structure comme celle de la Massaye, quand bien même il s'agirait d'étrangers ?
Le directeur de Guy Houist apporte un élément de réponse en précisant que « dans un centre comme le foyer Guy Houist, environ une personne sur deux obtient le statut de réfugié ». Pour ceux qui ne peuvent bénéficier de structures d'accueil la moyenne tombe à une personne sur cinq. Un argument à faire valoir auprès de ceux qui assimilent volontiers clandestins et demandeurs d'asile ou les oublieux de la solidarité nationale.
Dessins : Mandragore
Texte : Cédric Douesnard
Site Internet de l'AFTAM